Page 1 sur 1

Feuille à feuille (poème)

MessagePosté: 28 Oct 2009 11:47
de Radagast
Pour se détendre, voici la première partie d'un poème de Jules Supervielle qui s'intitule Feuille à feuille, extrait du recueil Arbres:

"Puisque le sombre humus cache
Tant de vert par-devers soi
Et dans sa lourdeur compacte
Les futurs oiseaux des bois,
Arbres, vous sortez de terre,
Feuille à feuille, avec des chants
Qui sont les frais ornements
D'une commune misère.
Que vous soyez pins ou hêtres,
Chênes ou bien peupliers,
Une même façon d'être
Par le bas des prisonniers.
Et vous reprenez la place
Que le vent vous fit céder
Ne connaissant de l'espace
Que ce léger va-et-vient.
La hauteur cachée en terre,
Et se dressant peu à peu
Vous caresse et vous libère
Vers le ciel un petit peu.
Venus de la terre dense,
Humides de cent désirs,
Vous n'êtes plus qu'une essence
Et lui livrez vos soupirs".


Supervielle a toujours aimé travailler en plein air; ce recueil a été rédigé entre 1939 et 1940, en grande partie dans les parcs zoologiques et botaniques de Buenos Aires et de Montevideo, pour y trouver un peu de paix "et l'image d'un univers où les espèces les plus diverses vivent en harmonie" (P908, Pléiade)."Le règne végétal lui offre de telles images, qui lui permettent de s'exprimer; (...) les arbres lui proposent un exemple de patience et d'endurance, le modèle d'une vie "très atténuée" , aux confins de la mort à laquelle il aspire en ces années difficiles".

La deuxième partie du poème une autre fois!

Re: Feuille à feuille

MessagePosté: 29 Oct 2009 09:49
de guybreit
Subtil poème, respiration bienvenue dans la bonne ambiance qui anime Le Naturaliste
Guy

Re: Feuille à feuille

MessagePosté: 29 Oct 2009 15:22
de Christian
Bonjour Ambroise, toutes et tous,

La poésie naturaliste est toujours la bienvenue, merci !

Comme je n'ai aucun talent littéraire, voici une modeste contribution et illustration à ce beau poème ...

ps Ambroise : Pas encore fait les scan du livre mais cela ne devrait pas tarder ... :oops:

tableau_veg1c.jpg
Tableau végétal "scanné"
Ch.Aubert, 2009
Exif et Meta MicroCartouche tableau_veg1c.jpg (189.1 Kio) Vu 8242 fois

Re: Feuille à feuille

MessagePosté: 29 Oct 2009 17:33
de Radagast
Merci! Pas de problèmes Christian, j'ai tout mon temps. La photo est superbe! j'adore.

Re: Feuille à feuille

MessagePosté: 29 Oct 2009 20:55
de Kinette
Bonjour,
Merci pour ce poème, très beau mais un peu mélancolique (je n'avais jamais vu les arbres ainsi, mais c'est toujours intéressant de voir les choses d'un autre point de vue).
Christian, j'adore ta photo!!!

Bises,
K.

Re: Feuille à feuille

MessagePosté: 29 Oct 2009 22:24
de Christian
Re,

C'est vrai que ce poème est assez mélancolique, peut-être que l'auteur à voulu faire un parallèle avec les humains parfois trop "enracinés" et manquant de liberté ?
Sa fin de vie expliquant peut-être aussi cette vision plus sombre que celle que nous avons habituellement des arbres ... ?

Puisque vous aimez les compositions végétales, une image un peu "japonisante" …

tableau_veg3web.jpg
Exif et Meta MicroCartouche tableau_veg3web.jpg (148.3 Kio) Vu 8190 fois


et une autre en rondeurs et pointes, comme notre nature, belle et nourricière (mais agressive aussi ...)

tableau_veg4web.jpg
Exif et Meta MicroCartouche tableau_veg4web.jpg (155.27 Kio) Vu 8184 fois

Re: Feuille à feuille

MessagePosté: 30 Oct 2009 21:25
de Radagast
Merci. Tous les poètes ont cette fibre mélancolique en eux, laquelle s'exprime à des degrés divers. Quand Supervielle parle de la nature (dans toute sa diversité, pas seulement les arbres, même s'ils occupent une place privilégiée dans l'imaginaire littéraire) c'est toujours accompagné d'une certaine tristesse, du fameux "spleen" du poète. Je vais mettre demain la suite du poème, puisqu'il est en deux parties.
Peut-être Christian, je ne vois pas de contre-sens. Ce qui est bien avec un poème (même un texte littéraire plus généralement) c'est que les interprétations sont multiples et c'est grâce à cette multiplicité que l'œuvre ne meurt jamais. Moi je ce que je ressens, à la lecture de ce poème, c'est que Supervielle poétise la triste condition de l'arbre, irréversiblement sédentaire. Supervielle est fasciné par les arbres; je trouve qu'il leur hommage. Il brosse un tableau mélancolique de ces "êtres" (ils semblent personnifiés sous sa plume) qui communiquent directement avec la terre et qui dans leur immobilité, apprivoisent l'espace alentour. Ce sont des prisonniers en mouvement. Mais dans un sens, tu as raison Christian, c'est peut-être une critique envers les hommes qui disposent de toute la liberté possible (en général, je ne parle pas de ceux qui vivent sous une dictature ou des prisonniers politiques etc.) et qui n'en mesurent pas l'étendue, qui n'en jouissent pas. Ce sont peut-être eux les vrais prisonniers. Surtout à l'heure actuelle. Le citadin qui ne jure que par le bitume et l'écran, que par la consommation et le virtuel, est un prisonnier.

Superbes photos Christian! C'est drôle, on sent tout de suite le côté agressif de la deuxième photo, la feuille "craquelée" et ternie associée au jaune et rouge vifs.

Re: Feuille à feuille

MessagePosté: 31 Oct 2009 09:31
de Kinette
Bonjour,
Christian, c'est magnifique! As-tu pensé à les tirer en grand et à les exposer (ça le mériterait!)?
Bises,
K.

Re: Feuille à feuille

MessagePosté: 31 Oct 2009 18:35
de Radagast
Deuxième partie du poème Feuille à feuille:

Vous qui ne demandez rien,
Vous qui êtes toujours là,
Sans yeux, comme en ont les chiens,
Pour rappeler qu'ils sont là,
Arbres de mon grand jardin,
Dans un mouvement serein
Ouvrant nuit et jour les bras,
Vous nous faites oublier
Que vous ne les fermez pas,
Arbres graves, sans défauts,
Moitié tronc, moitié feuillage,
Et jamais trop peu ni trop
Ayant toujours ce qu'il faut
Pour votre immense veuvage,
Vous qui vivez parmi nous
Solitude jusqu'au cou
Malgré le vent, les oiseaux
Et les hommes inégaux
Qui vous coupent en morceaux.
Que serviraient les regards
Ou de froncer les sourcils
Et l'avance ou le retard
Et tous les humains soucis?
En dépit de vos racines
Vos troncs ne sont pas d'ici
Mais bien d'un pays caché
Dont nul ne peut approcher.
Et vous laissez un sillage
Sans avoir jamais bougé,
Comme les paralysés
Qu'on voit rêver sur les plages,
Vous qui nous poussez à vivre
Nous, moins que vous attachés,
A la façon d'hommes libres
Courant après leurs pensées.