de Eddy » 26 Jan 2012 20:43
Bonsoir le forum,
Je lis cette discussion avec intérêt, presque depuis son début (j'ai manqué les premières interventions). Il faut reconnaître que les philosophes ont à disposition un outil formidable, la philosophie, capable de produire des énoncés sur lui-même. Ainsi, quand ils se demandent ce qu'est la philosophie, les philosophes sont déjà en train de philosopher. Avec les sciences dures, qu'il s'agisse des maths, de physique, de chimie ou de biologie, c'est très différent. Se demander ce qu'est la biologie, par exemple, ce n'est en aucun cas faire de la biologie.
Quelle conséquence ?
J'ai déjà eu l'occasion de l'écrire dans d'autres fils de discussions, il n'y a rien à attendre des sciences pour répondre à des questions telles que "faut-il sauver le panda ?", "l'agriculture a-t-elle besoin des OGM ?" ou encore "faut-il réduire notre consommation d'énergies fossiles ?". Toutes ces questions ont une portée morale, philosophique qui déborde du cadre strictement scientifique. Par exemple, la biologie enseigne ce que sont les OGM, comment en produire, comment évaluer leur toxicité sur un modèle animal, etc. mais elle ne dit rien sur la pertinence de leur utilisation dans le contexte socio-économique actuel.
On a besoin d'une réflexion à un niveau plus général, qui nous permette de manipuler des concepts non scientifiques pour mieux "apprivoiser" les avancées et en tenir compte dans nos choix de société. C'est là qu'intervient la philosophie. Malheureusement, la situation actuelle est préoccupante parce que nous manquons de philosophes des sciences. Les scientifiques ne sont a priori pas des philosophes et leur statut d'expert ne garantit pas qu'ils ont une vision clairvoyante des choix de société à effectuer. De la même façon, les philosophes des sciences ne sont a priori pas des scientifiques et leur statut de méta-analystes ne les rend pas compétents pour évaluer les résultats obtenus par les scientifiques. En clair, ces deux mondes ont besoin l'un de l'autre parce qu'ils ne se recoupent pas a priori (mais on trouve des philosophes parmi les scientifiques et inversement. Un exemple dans mon université : Jean-Marc Lévy-Leblond).
Dans l'idéal, si je devais choisir les invités à un débat portant sur une question scientifique, je réunirai sur le plateau : un ou deux scientifiques pour vulgariser, autant que possible, l'état de l'art dans le domaine, des philosophes pour réfléchir sur la façon d'intégrer ces nouveautés dans notre vie quotidienne, et toutes les personnes compétentes pour des questions plus pointues (des politiques, des économistes, etc.). Eh bien, je suis prêt à parier qu'en faisant cela, mon émission serait ennuyeuse à mourir. La chaîne m'interdirait de passer à l'antenne faute d'un audimat suffisant. Au lieu de cela, invitez un scientifique qui ne publie pas dans le domaine mais qui a la parole facile (quelqu'un comme C. A.), associez-le à deux militants et choisissez un invité issu du secteur privé, surtout s'il est financièrement intéressé, et vous obtiendrez à coup sûr une dispute et une émission réussie. C'est, à mon sens, le principal tort du traitement actuel des grandes questions actuelles en matière de climat, d'énergie, d'agroalimentaire, etc.
Alors, faut-il sauver le panda ? Pour ma part, je ferai une réponse de Normand : il faut changer radicalement de mode de vie, de consommation, et tout le reste suivra. Tant que cela ne sera pas fait, toutes nos préoccupations écolo-humanistes ne seront que des pis-aller, des rustines, des cache-misère, peu importe le nom qu'on leur donne. L'essentiel est beaucoup plus général que ça.
Cordialement,
Eddy